Un peintre russe en Bretagne   ( Musée de Pont-Aven)

Si Constantin Kousnetzoff est méconnu du public, c'est précisément parce qu'il a voulu rester dans l'ombre de son vivant ; son oeuvre a seulement été révélée au grand jour, il a une vingtaine d'années, par la Galerie Katia Granoff. Le musée Carnavalet consacrait à Kousnetzoff, en 1984, une exposition sur le thème de ses paysages parisiens et en 1986, la Mairie du XVIe arrondissement à Paris organisait une rétrospective du peintre, en l'honneur du cinquantième anniversaire de sa mort.

Le Musée de Pont-Aven, à son tour, rend hommage, en ce printemps 1987, au peintre qui découvrit la Bretagne avec émerveillement, en 1900, et y revint régulièrement jusqu'en 1927. Ici, l'artiste trouve un paysage en harmonie avec lui-même, en accord avec sa sensibilité et ses préoccupations esthétiques, il rencontre une nature grandiose qui l'émeut. Le choc de la mer, source sans cesse renouvelée d'inspiration, lui permet d'exprimer ce qu'il ressent plutôt que ce qu'il voit, dans un silencieux dialogue.

En dehors de son rôle de mémoire des peintres du groupe de Pont-Aven, il est dans la vocation propre de notre Musée de faire connaître les artistes qui trouvèrent leur inspiration en Bretagne, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Constantin Kousnetzoff est de ceux la, il mérite cet hommage de la part d'un pays qui fut sa seconde Patrie et dont il a senti l'âme profonde avec sa sensibilité de slave.

Cette exposition est le fruit d'un travail commun, je tiens à remercier tout particulièrement ceux qui l'ont permise et voulue, en y apportant leur généreux concours le Docteur Jean-Marc Branthomme et Madame Monique Vivier-Branthomme, Monsieur André Marchand et Madame Odile Vivier-Marchand.

Apollinaire disait, en 1910 "On retrouve en Kousnetzoff, l'esthétique mystique et indécise de la revue russe La Toison d'Or". Cette exposition vous convie à la découverte de Constantin Kousnetzoff, au rêve à travers le lyrisme d'un art visionnaire, sur la voie solitaire d'un magicien étrange, envoûté par la Bretagne et l'océan.

Catherine Puget

Conservatrice du Musée de Pont-Aven.


Constantin Kousnetzoff est né sur les bords de la Volga, en 1863, dans le village de Jolnino, près de NijniNovgorod. Tout jeune, il observe l'eau, sa puissance enlaçante, ses tracés, sa lumière mouvante. Contemplatif, il vit en communion avec la nature, l'eau, les herbes, les forêts, les ciels. Il s'est représenté adolescent, pêchant d'une barque qui flotte sur les prés inondés par les crues de la Volga, dont il suivra maintes fois le cours, jusqu'à la mer Caspienne.

La peinture l'attire et, en 1896, il vient étudier à Paris où il se fixera bientôt, séduit par les rives de la Seine. Il a en lui ce frémissement irréversible qui le conduit vers l'eau. En 1900, il décide d'aller peindre à Concarneau, et découvre la Bretagne. Les grandes solitudes océanes et leurs puissances de lumière sont, pout lut, une révélation. Il a l'intuition sauvage de ce qui a été perdu par des écoles de peinture asphyxiées dans leurs dogmes. Après avoir travaillé à Noirmoutier, puis sur les côtes normandes (Etretat) et dans le nord de la Bretagne, il se fixe dans la région du Val-André (Côtes-du-Nord), de 1911 à 1918. Il passe une saison à Kerfany, dans le sud du Finistère, et Belle-Isle-en-Mer le retient tout l'été de 1923, après un premier séjour en 1913.

Il travaille en plein air, après des jours d'observation continue sur les falaises, par tous les temps, à toutes les heures, transportant sa boite-chevalet, ses toiles, ses châssis, qu'il est souvent obligé d'arrimer solidement sur son dos ou sa bicyclette, luttant contre les vents d'ouest. Il aime la pêche, ne craint ni les embruns ni la force des lames. Immobile, pendant des heures, il observe. Il enregistre tous les rythmes forgés par l'océan, selon les marées, montantes ou descendantes. Il scrute les abysses au pied des falaises, étudie l'architecture géologique aux tons chauds et les rapports entre cette géologie des falaises et la brume océane. Il retient la finesse de la lumière pour établir ensuite, par les rapprochements subtils des valeurs, l'immensité marine dans sa limpidité.

Si l'on regarde avec attention son oeuvre de peintre, on découvre qu'il s'exprime selon une écriture très personnelle qui n'est ni impressionniste ni pointilliste. Cette écriture est lyrique, elle se rapproche du lyrisme de Turner, avec cette même retenue inventive, un lyrisme contrôlé, discipliné, contenu. Par moments, son écriture est violente. Elle suit les mouvements intérieurs de son âme de peintre. Son pinceau suit ce que lui commande sa vision intérieure du monde pour traduire les impulsions de son âme devant un certain aspect de la nature à une certaine heure. U joie de peindre est là, avec ses cheminements lents dans la découverte de la connaissance.

Il a l'intuition d'une certaine lumière ébranlant l'espace dans toute la surface du tableau. Il capte la finesse d'absorption de cette lumière dans les architectures secrètes de l'océan, dans tous les profils du vent du large. Ce qui frappe dans cette oeuvre, c'est un don de vision qui lui appartient, où les distances se mêlent, se confondent en une seule dimension ce n'est plus ni le ciel ni l'océan mais une seule lumière, une immensité palpitante de lumière, un envahissement océanique totalisant les architectures solides et liquides.

Cet homme du large, amoureux de l'univers vaste, cet homme du vent qui traduit la steppe dans l'immensité océane, Constantin Kousnetzoff a une personnalité secrète, curieuse, et qui s'affirme avec une véhémence jaillissant de sa vision intérieure. Il vit très seul en son époque, dans une contemplation interrogative où il se tient à l'écoute de la constante respiration cosmique.

Je dois à la fille du peintre, Madame Hélène Vivier-Ribière, la découverte de cette oeuvre. Comme je m'étonnais que ce peintre russe fût resté inconnu, préférant poursuivre sa propre traduction du monde à l'écart de toutes les tendances de son temps, Hélène Vivier-Ribière me raconta qu'il refusa de recevoir Ambroise Vollard, désireux d'acquérir des toiles. Avec colère, il déclara : "Mon âme n'est pas à vendre".

Constantin Kousnetzoff a choisi de consacrer son existence de peintre à s'enraciner dans l'adoration silencieuse de la nature. Il laisse une oeuvre très personnelle que l'on pourrait situer entre Turner et Claude Monet.

André Marchand.



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