Un peintre russe en France

Victime volontaire, consciente, de ses propres qualités farouchement protégées contre le temps et ses moeurs, mais qui lui valent de survivre par son oeuvre intacte à la mort, Constantin Kousnetzoff est parvenu au seuil de la postérité aussi neuf dans sa personnalité et dans son art qu'au premier jour. Cette pudeur inaliénée l'enveloppe de mystère, et son secret, le secret de son coeur est resté inviolé.

Russe, venu à Paris à la fin du siècle dernier - il naquit en 1863 - attiré par les feux mourants de l'impressionnisme et par la réputation des ateliers, Kousnetzoff a vécu cette existence indécise, mal étayée, des artistes qui s'exilent sans raison apparente pour les autres hommes, mais parce que c'est nécessité intérieure ; ils ne veulent rien briser, Constantin Kousnetzoff ils ne renoncent pas à leur patrie, mais envers eux la patrie garde un vague ressentiment, générateur de trouble et d'inquiétude. Rejeté vers l'Extrême-Occident qu'il a cependant choisi, et de plus en plus par les circonstances, Constantin Kousnetzoff devait faire de son art un art de Français où perce une sorte de nostalgie de son pays.

Comme beaucoup de jeunes peintres doués de cette époque, il entre à l'atelier Cormon, mais c'est dans l'Impressionnisme finissant qu'il découvre sa voie. Cependant, il se garde bien de le suivre dans sa décadence ; il l'interprète selon son âme slave ; sa sensibilité si frémissante en tire aliment, ferment, libération. A son tour, il veut épuiser toutes les richesses que peut offrir un motif, et fi ne se lasse de demander au chevet de Notre-Dame de Paris, par exemple, de dévoiler ses visages successifs des brumes du matin aux vapeurs du soir lorsque ses arcs-boutants semblent autant de rayons lancés sans éclat et sans bruit ; mais Kousnetzoff a compris la vanité de la poursuite exclusive des reflets, du fugitif, de l'anecdote lumineuse, et dans ses études d'atmosphère légère et enfumée, il ne cesse de chercher le stable, le permanent, l'architecture. Il ne dissocie pas les couleurs, il ne rompt pas les formes ; il sait les vertus de la limite, la nécessité pour l'oeil et l'esprit de s'arrêter à un contour, de se fixer momentanément au solide. Mais seulement un instant ce qu'il faut pour sentir le sol, la pierre, sous ses pieds, sous ses mains ; puis tout, formes, contours, il les plonge dans dans la subtilité de l'air. Kousnetzoff apporte ainsi à l'Impressionnisme dont il a su se distinguer, une poésie personnelle et il transforme son réalisme en lyrisme puissant. Il devra être beaucoup pardonné aux « suites de l'Impressionnisme » pour avoir permis à certains tempéraments de se libérer aussi complètement et de s'exprimer sans contrainte. Kousnetzoff reste maître de son art et ne le subordonne pas aux fantaisies, si belles soient-elles, de la nature ; s'il obéit à quelque muse, c'est à celle de son imagination d'homme du Nord né aux frontières de lOrient. La peinture de Kousnetzoff forme le trait d'union entre la sensibilité réaliste de l'Impressionnisme et le lyrisme poétique de l'Expressionnisme.

Le thème que chante Constantin Kousnetzoff, c'est celui de la nature avant tout ; c'est aussi celui du paysage humain, façonné par la main trop souvent sacrilège de l'homme. Paris, les rives de la Seine d'une part, où la brume transforme et égalise dans la poésie les monuments et les constructions ; les immenses horizons, d'autre part, qu'il découvre au-dessus des vallonnements de Normandie et de Bretagne ; ce sont ses deux sujets de prédilection. Il aime dominer les ressauts de la terre et, à travers, conduire l'oeil et l'âme vers quelque bassin, quelque golfe, quelque trouée où la mer vous prend et vous fait franchir, sans heurt, tout naturellement, le seuil de la terre vers le ciel, le seuil du réel vers l'éternel.

Peindre, pour Kousnetzoff, c'est ajouter à la nature toutes les rêveries que son âme regrette, c'est transformer les malheureux édifices modernes, les gares, les palais ridicules, les bâtisses déshonorantes en châteaux enchantés ; c'est solliciter toute la nature pour qu'elle aide l'homme au départ, ce départ médité par Claude Lorrain dont Constantin Kousnetzoff retrouve l'âme modernisée où la nostalgie de la Russie remplace le souvenir de l'Antiquité

Michel Florisoone.


(Préface au catalogue de l'exposition post-mortem
des oeuvres de Kousnetzoff, au Salon d'Automne de 1937.)


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